Message électronique du 26 mars 2013

 

Objet : De bonnes nouvelles

 

Retour à Nazreth après une moisson de médailles pour Tafari et Mikael, ce dernier devient le meilleur athlète de la région Oromo, toutes disciplines confondues. Au total : 1 médaille d'or, 2 d'argent et 1 de bronze pour Tafari et 5 d'or, 2 d'argent et 1 de bronze pour Mikael.

 

Hier, Tafari et Olivier sont allés à son école pour rencontrer son directeur. Au départ, il ne saisit pas pourquoi Tafari explique son absence de 2 semaines pour cause de compétition. Mais lorsqu'il fait le lien avec la finale des écoles à Addis Abeba et remarque le paquet de grosses médailles dans la main de Tafari, son visage s'illumine. Félicitations et honneurs pour Tafari, le premier écolier à rapporter des médailles ! Grand prince, il les a données à l'école. Elles sont maintenant dans le bureau du directeur.

 

Quel chemin parcouru en à peine un an pour cette grande tige que ses copains d'enfance appellent toujours "Mititi" ou "Kiwi". Le premier surnom "Mititi" est donné aux petits enfants de petit gabarit. C'est très affectueux. Encore aujourd'hui malgré ses 19 ans et son mètre 90, il l'a conservé car tout le monde sait au village de Sodére qu'il est resté un an au lit à cause d'une maladie dont personne ne connaît le nom.

Plus tard, la vie ne l'a pas épargnée. Alors qu'il coulait des jours heureux et insouciants car son père avait comme l'on dit "la bosse du commerce", une nuit, il fut victime d'un accident dont les circonstances sont restées mystérieuses. Il y avait eu un accident de la route et en Ethiopie, il y a toujours quelqu'un qui vient surveiller le matériel perdu. C'était au père de Tafari de prendre la garde. Mais l'endroit où la carcasse de la voiture se trouvait est pour les gens du village, un lieu maudit qui fait peur, aussi magique que mystérieux. Au petit matin, on l'a trouvé inconscient. Trois jours plus tard, il mourait chez lui, dans sa petite maison en torchis, entouré des siens.

Ce choc ne fut malheureusement pas le dernier. La convoitise de ses oncles a fait le reste. Au fil des ans ils ont extorqué tout ce que le père de Tafari avait acquis : des biens, des terres , de l'argent ... Sa mère, seule avec ses 4 enfants n'a pu se défendre face à sa belle-famille. De plus, la tradition en matière d'héritage n'est pas favorable à la veuve. Elle doit se remarier avec l'un des frères de son défunt mari. Elle est ainsi protégée et l'héritage reste entre les mêmes mains. Mais en refusant, sa mère déclenche la colère aussi furieuse que la jalousie de ses beaux-frères qui viendront jusqu'à la menacer chez elle, armes à la main. Petit à petit, ils la dépècent de tout.

 

Alors comme tant d'autres gens pauvres, Tafari est devenu un "kiwi", c'est à dire un petit cireur de chaussures. Et sa mère, comme la plupart des villageois de Sodéré a trouvé un travail aux thermes du village. Encore aujourd'hui, c'est elle qui surveille le vestiaire des femmes qui vont prendre leur douche dans la source naturelle d'eau chaude.

Tafari grandit, comme tous les autres enfants, il va à l'école mais en fait, il préfère passer le plus clair de son temps dans la rivière Awash et ses environs escarpés, avec les singes chapardeurs au cul bleu qui comme lui, aiment à se prélasser près des hibiscus multicolores, à l'ombre des eucalyptus et autres arbres dont certains sont gigantesques.

A première vue, l'environnement des enfants de Sodére a quelque chose d'idyllique. La nature est aussi généreuse que brutale, quasi préhistorique. Ceux qui dépassent le cap des 5 premières années de vie, sont de véritables survivants. Des crocodiles et les hippopotames rendent la rivière dangereuse et attractive. Les hyènes maraudent toutes les nuits autour des huttes protégées par des petits murets de pierre ou des épineux. Toutes sortes de serpents se glissent où ils veulent. Il y a également des espèces voisines des anacondas ... Et puis à cette hostillité naturelle que nous ne connaissons pas en France, s'ajoute la brutalité économique, les disparités sociales qui se creusent, l'arrivée de la modernité sans transition.

 

Il n'y a pas d'eau courante dans le village de Sodére. Pourtant, ce petit village est connu de tous les Ethiopiens. Lieu de villégiature préféré des gens de la capitale qui y passent le Week-end, les Djiboutiens, Somaliens et la population alentours viennent, soit y passer un moment de détente dans cette nature luxuriante, soit y soigner divers maux. La culture thermale reste très ancrée chez tous les habitants de la corne de l'Afrique et l'Ethiopie a la chance d'abriter de nombreuses sources d'eau chaude tout le long de la vallée du Rift.

Toutes ces familles qui viennent passer du bon temps à Sodére vivent à des années lumière du quotidien des villageois qui ont tout juste l'électricité. Ici, on cumule les fonctions : employé au "resort" (*), agriculteur ou pêcheur. Dans le meilleur des cas, petit commerçant. Il faut trimer pour survivre.

 

On ne parle pas l'Oromo à la maison de Tafari, seulement l'Ahmarique, la lanque nationale. Or toute l'éducation primaire en région Oromo se déroule dans la langue régionale. Alors les petits camarades se moquent souvent de lui en classe parce qu'il ne peut pas tout comprendre dans cette langue. Il passe pour un abruti. Il se bagarre souvent à cause de cela.

On se moque de lui car il est handicapé d'un oeil. C'est un problème très courant en Ethiopie où le manque de soins médicaux, surtout en zone rurale, laisse des centaines d'enfant perdre la vue. Plus il grandit, plus son oeil droit rétrécit. Aujourd'hui, il est aveugle de cet oeil.

 

Il y a un an à peu près, Olivier remarque cette grande tige s'amuser dans l'eau des bassins de Sodére, où à l'époque il entraîne les enfants de Kiros, le futur président de la fédération éthiopienne de natation. Les potentialités du gabarit de Tafari ne lui échappent pas. Olivier imagine déjà les potentialités de ses très longs bras. Alors, quand le tout jeune homme lui demande de l'entraîner, il accède tout de suite à sa demande.

Mais à l'époque, Tafari a un petit boulot le Week-end à Sodére. Il assiste le pizzaiolo et gagne 170 birrs par mois, une misère. De plus, la nouvelle politique des managers du "resort" de Sodére, qui vient d'être en partie privatisé, est d'interdire au personnel, l'utilisation des infrastructures de sport et de loisir offertes à la clientèle.

L'entraînement à Sodéré, lui devient impossible sous peine de licenciement. 

A l'époque nous ignorions tout de la vie de Tafari, son passé dramatique. Semblable à tous ses congénères masculins post ado, la piscine restait son lieu de prédilection pour rencontrer des demoiselles en vacance et les conseiller sur leur nage !

Comme nous l'avions déjà proposé à d'autres jeunes dès que nous nous sommes installés en Ethiopie en juin 2010, Tafari est venu s'installer chez nous pour bénéficier de la piscine de Nazreth. Il y a rejoint la famille Tufa avec Boké, Abebe et Worké que nous soutenons depuis toujours dans leur scolarité en leur offrant le gîte, le couvert, les uniformes de leur école, les transports, les cours de soutien en anglais et un petit salaire pour l'aîné en échange de l'entretien du jardin et de l'exécution de quelques courses ménagères.

Afin qu'il ait le "droit" de s'entraîner librement à Sodéré, nous avons tous les trois, avec Olivier et Tafari, décidé qu'il démissionne du "resort" . Depuis, nous lui octroyons 250 birrs par mois et l'avons obligé à reprendre l'école.

Les mois se sont écoulés au rythme des classes bondées, 70 enfants dans des classes de 30 m², et de l'entraînement quotidien, des 300 km hebdomadaires pour se rendre de Nazreth à Sodere, des déceptions aussi, lorsque la région oromo refuse qu'il participe aux compétitions parce qu'il s'entraîne avec Olivier, un étranger.

Mais hier après-midi, lorsqu'il est retourné à l'école, pour la première fois de sa vie, les adultes et tous ceux qui étaient là étaient fiers de lui.

Vous imaginez bien qu'ici, tout le monde est content. Tafari et Mikael sont sur un petit nuage. Ce matin pour la première fois, Tafari s'est rendu à la banque pour déposer les 4400 birrs qu'il a gagné, l'équivalent de 2 ans de salaire de pizzaiolo ou 10 mois de salaire de sa mère.

 

Nous vous remercions de votre soutien financier et moral. Grâce à vous, nous réalisons de belles choses. Aujourd'hui, les petits fermiers, pauvres, originaires d'un village reculés d'Oromiya, snobés et exclus par les autorités sportives locales, Mikael, Tafari et Olivier ont prouvé qu'avec du travail, de l'abnégation, de la force de caractère et très peu de moyens, des conditions difficiles d'entraînement ... il est possible de réaliser ses rêves.

Merci de nous aider à ce que cela continue et s'amplifie.

 

Guylaine & Olivier.

 

  (*) resort : mot anglais désignant ici le park qui comporte des thermes, deux piscines, un restaurant, des gites, un immeuble-hôtel ...